L’Editorial des Echos du 19/10/2022 par Jean-Francis PECRESSE : Le médicament mal traité
L’Editorial des Echos du 19/10/2022 par Jean-Francis PECRESSE :
“ Le médicament mal traité
Faites de la croissance, innovez, maintenez des emplois en France mais, surtout, ne songez pas à gagner de l’argent. Jamais, hélas, le message ubuesque adressé par l’Etat aux industriels de la pharmacie aura été aussi clair et précis qu’en cet automne 2022. Quoique le gouvernement ait finalement renoncé à son idée de référencer des médicaments par appel d’offres, ce qui aurait fait le lit des low cost chinois et indiens, aucun pays d’Europe ne s’y est d’ailleurs risqué, c’est un budget 2023 de la Sécurité sociale au goût de potion amère pour les laboratoires pharmaceutiques que le gouvernement va soumettre jeudi à l’Assemblée nationale. Un projet de décroissance du médicament.
Quelque 800 millions d’euros de baisses exigées sur les prix des produits remboursés, et 1,3 milliard d’euros de sommes à reverser à la Sécurité sociale, parce que la consommation de médicaments aura été plus dynamique qu’attendue : c’est une double peine qui va être infligée aux industriels installés en France. En elle-même, la punition n’est pas nouvelle. Elle dure même depuis une douzaine d’années, depuis que les autorités sanitaires ont l’obsession de la baisse des prix du médicament, bien aidées en cela par le scandale du Médiator, lequel n’a pas vraiment redoré l’image de «Big Pharma».
Sans cesse accentuée, cette politique a eu des résultats spectaculaires puisque la France est devenue, parmi les cinq grands marchés européens, celui où, dans la moitié des cas, le prix d’un même médicament est le plus bas, si bas que certains grossistes les revendent à l’export. Le « budget médicaments » de l’Assurance Maladie a certes été remarquablement stabilisé en valeur. Mais le décrochage de notre industrie pharmaceutique n’en a été que plus que remarquable, lui aussi. Mal récompensée de ses efforts et investissements, elle s’est concentrée sur des productions à faible marge, des spécialités dites matures, développés pour la plupart il y a une vingtaine d’années.
Il ne faut pas s’étonner que le site France localise moins d’un dixième des nouveaux médicaments à forte valeur ajoutée autorisés en Europe ces dernières années, trois fois moins que l’Allemagne. Le tragique de répétition continue. Il s’amplifie même. Car, avec ce budget de la Sécurité sociale, les industriels de la pharmacie vont devoir restituer presque tout ce qu’ils auront gagné cette année. Eux qui venaient, enfin, de faire la croissance, portés par une vague de médicaments innovants (et importés) en immunologie, en oncologie et contre les maladies rares …
Il ne faudra pas s’étonner, non plus, lorsque nous serons confrontés à une prochaine crise sanitaire majeure, de ne pas être capables de développer un vaccin ou un remède. On ne peut pas exiger d’une industrie privée des gains de sa croissance d’être performante. Cette leçon du Covid a été vite oubliée.”
Les Echos le 19/10/2022